BATMAN V SUPERMAN : DAWN OF JUSTICE (Zack Snyder, 2016)

Avant-propos

Il se peut que vous soyez puristes de bandes-dessinées et que vous soyez mieux munis que moi pour nourrir un débat sur la fidélité d’adaptation par rapport au matériel source. Au contraire, il se peut que vous soyez détracteurs absolus du genre adaptation de bandes-dessinées et film de super-héros, que vous soyez écœurés de l’envahissement constant de ces univers sur nos écrans depuis les années 2000. Vous serez prévenus.

Je suis biaisé par mon enthousiasme éternel envers Batman. J’ai toujours été fan, depuis mon plus jeune âge. Je suis assez tolérant sur les différentes versions qui ont été rendues au petit et au grand écran : qu’il s’agisse de la version glauque, carnavalesque et art déco de Tim Burton (et de la série animée géniale qui en découle); la version urbaine et pragmatique de Christopher Nolan; la version psychédélique mettant en vedette Adam West; même Batman Forever de Joel Schumacher me plaît encore à ce jour (contre l’opinion populaire), peut-être avec un coup de main de la valeur nostalgique qu’il a pour moi.

Mon intérêt pour l’univers de Superman est un goût qui s’est développé avec le temps. J’ai longtemps rangé mes armes du côté des détracteurs récalcitrants du héros mythique. Pour moi, ce personnage parfait en tous points, uniquement trahi par une faiblesse physique (kryptonite), ne montrait aucun défi ni intérêt et me semblait ridicule à tout coup. Lors de mon premier visionnement de Man Of Steel, outre les quelques problèmes que j’ai par rapport aux avenues empruntées côté montage et narration, je considérais valeureux et bienvenue l’effort de « déquétainiser » Superman. Bien que la performance de Christopher Reeve soit à ce jour inégalée au grand écran, les films dans lesquels il a joué sont susceptibles d’avoir mal vieilli. Ne parlons pas de l’insipide Superman Returns. Il est certain que des références à Man Of Steel seront abordées, puisque le film étudié s’avère la suite directe au premier opus du renouvellement de Superman au grand écran.

On m’a expliqué de façon intéressante les dilemmes moraux et éthiques auxquels Superman est confronté (l’usage restreint de ses pouvoirs, en quoi il doit être un modèle et inspirer l’espoir chez autrui, son statut d’étranger parmi les humains). On m’a également convaincu de la pertinence de Lex Luthor comme adversaire par excellence (l’injustice infériorisant le travail d’une vie, la construction d’un empire, la quête de réussite, contre le succès instantané d’une figure puissante et adulée qui arrive soudainement et change notre monde). J’ai parcouru certaines adaptations en séries ou films d’animation; j’ai lu la bande-dessinée Red Son; j’ai joué avec un plaisir fou au jeu vidéo Injustice : Gods among us; pour finalement apprécier le personnage.

Pour rendre compte de mon expérience de Batman V Superman : Dawn Of Justice, il se peut que mon discours soit teinté par ma passion pour Batman et pour le cinéma. Je suis sorti de la salle moins frustré qu’après Man Of Steel en 2013 (notamment à cause de la scène de la tornade et du dernier tiers qui me paraissait interminable). Malgré tout, je sens qu’à chaque problème corrigé par rapport au tome précédent, un nouveau problème surgissait. Faisant abstraction des lacunes, on y retrouve des bons moments et l’espoir inabouti de bonnes idées latentes. Ainsi, nous avons droit à des séquences spectaculaires, mais enchaînées ensemble dans une cohérence poreuse résultant un produit fini partiellement réussi. Présumant que je serais déçu après Man Of Steel (qui tâchait d’être aussi grandiose que Batman Begins en copiant sa structure flashback), en plus d’être témoin de l’effondrement que le film a connu par la critique journalistique, j’étais attiré par Batman V Superman avec une curiosité morbide. De toute évidence, il faut modérer son sens rationnel et cognitif pour être en mesure d’apprécier le film (et encore).

Amour-haine

Je ne sais pas jusqu’à quel point le terme est approprié, mais amour-haine semble coller au rapport que j’entretiens envers l’œuvre de Zack Snyder : des films à grand budget qui mettent l’esthétique en avant-plan, au risque de présenter un scénario faible (se voulant pourtant complexe et profond). Si j’étais en relation Facebook avec le cinéaste, je nous attribuerais comme statut « C’est compliqué avec ». Telle une girouette, je demeure ambivalent et mitigé par rapport à ses choix artistiques, ses méthodes de travail et au produit fini qui en découle. Je me suis ravisé à quelques reprises par rapport au verdict que j’attribuais à Sucker Punch ou Man Of Steel, par exemple. Lorsque je vois Synder en entrevue, je sens un travailleur passionné, mais qui, au final, ne parvient pas toujours à bien fignoler le produit de ses ambitions (du moins, il les rend de façon inégale). Je n’irais pas jusqu’à le qualifier comme le Ed Wood de notre époque. Il montre un intérêt manifeste pour l’imagerie colossale et léchée, n’hésitant pas à générer des ralentis, des zooms, chorégraphiant des combats et utilisant des effets visuels numériques à outrance. Certaines scènes demeurent impressionnantes et divertissantes. Des éléments en valent la peine et relèvent de bonnes idées fondamentales quant à la dynamique entre les personanges et leur rapport au reste du monde (quoique reposant souvent sur le calque de cases de bandes dessinées de Frank Miller et autres artistes à part entière).

Cependant, dans Batman V Superman, la cohérence, la consistance et l’exécution de l’ensemble laissent malheureusement à désirer. On voit le potentiel, autant par la promesse des bandes-annonces que par les fragments qui fonctionnent. Cependant, ces dits fragments sont trop éparpillés et rapidement éclipsés entre eux pour laisser place à de nouveaux segments. Trop d’attention et d’efforts sont mis à insérer le plus d’éléments pour construire l’univers Justice League (d’où le sous-titre Dawn Of Justice, dangereusement non-subtil), ce qui cause le manque de focus et de structure qui rattache bien tous les multiples personnages et sous-intrigues. Le film est long, mais pas pour les bonnes raisons : le développement de la narration et des personnages demeure effleuré en surface, superficiel ou pris pour acquis. Ils manquent cruellement de chair, à un point où l’on questionne à quelques reprises les motivations, les méthodes ou carrément l’intelligence des personnages… On dirait que les auteurs connaissaient le résultat des actions des personnages, mais qu’ils se sont contentés de bâcler des justifications en prenant des raccourcis scénaristiques qui expliquent comment nous nous sommes rendus là. Si vous avez des craintes par rapport au caractère surchargé, à la surenchère visuelle dissimulant une pauvreté scénaristique, à la structure narrative erratique, à un canon de personnages plus ou moins respecté, à un film qui se prend beaucoup trop au sérieux, vous pouvez considérer vos craintes comme fondées. Pour le meilleur et pour le pire.

Des vestiges de Metropolis surgit Bruce Wayne

Autant du point de vue de l’intrigue que du commentaire de production, c’est un choix brillant de revenir sur le combat ultime entre Superman et Zod à Metropolis dans Man Of Steel. Avec le recul, j’ai finalement pardonné ce que la plupart des spectateurs (dont moi) reprochaient initialement à ce troisième acte. Autrement dit, « bravo le héros qui détruit la moitié de la ville et tue d’innombrables civils collatéralement à cet échange de coups de poings numériques à impact massif et dévastateur ». Le contexte de la scène doit se lire ainsi : Superman tâchait de contenir et d’arrêter Zod, ce dernier souhaitant bâtir une nouvelle Krypton (terre natale décimée des deux extraterrestres) sur les cendres de notre planète. Snyder et son équipe ont pris connaissance des critiques par rapport à cette scène qui se voulait héroïque. Ainsi, nous ouvrons Batman V Superman avec un retour sur cette scène, en partageant le point de vue de Bruce Wayne, qui assiste au désastre, constate les dégâts, et s’inquiète de l’intervention de Superman sur Terre. Cette carte était bien jouée pour adresser les plaintes de la critique et du public au sujet de cette scène, en plus de faire suite aux conséquences de la révélation de Superman au reste du monde, un thème majeur dans Man Of Steel.

Les joueurs étoiles du match

Mon hypothèse prophétique à propos de Ben Affleck s’est réalisée. Il est autant formidable avec son Bruce Wayne qu’avec son Batman. Je me doutais que l’acteur serait extraordinaire dans un film très ordinaire. Ce n’est pas la première fois qu’une annonce de casting fait scandale auprès des fans. Lançant d’abord indignations et opinions cinglantes dans la volée, plusieurs se ravisent de manière confuse en voyant le résultat sensationnel qu’ils avaient vivement sous-estimé. Subissant le même sort, trois noms me viennent en tête : Heath Ledger dans The Dark Knight, Anne Hathaway dans The Dark Knight Rises, et même Michael Keaton dans Batman avait fait scandale dans une époque pré-Internet! Pourtant, les trois se sont avérés solides et d’agréables surprises dans leur rôle respectif. Idem avec Ben Affleck, de qui les fans avaient encore le souvenir douloureux du film raté Daredevil.

Inspiré de la version The Dark Knight Returns, de Frank Miller, le Batman dans Batman V Superman est plus mature, plus cynique. Affleck manifeste son intérêt et sa passion pour le personnage, il met tout son cœur à l’ouvrage, dévoué corps et âme dans sa préparation au rôle. Le design du costume, de la Batcave, de la Batmobile tout est intimidant et « cool » (ce que l’on s’attend de Batman). Je noterai ici l’unique amélioration par rapport aux films de Christopher Nolan : la voix de Batman n’est pas ridicule. Elle est ici modulée électroniquement par un microphone qui justifie le changement de voix de Bruce Wayne vers une voix plus profonde et ténébreuse, créant une distance entre les deux personnages sans tomber dans quelque chose de bestial et grotesque comme Christian Bale (qui pourtant a fait lui aussi un travail dévoué, acharné et remarquable). En ce qui me concerne, Ben Affleck porte le film sur ses épaules. Il est bien secondé par Jeremy Irons, qui joue un Alfred (domestique de Bruce Wayne) plus jeune mais égalant le blasement et le cynisme de son maître. C’est agréable de revoir cet acteur charismatique dans autre chose qu’un flop médiéval.

Henry Cavill et Amy Adams se débrouillent très bien, malgré le matériel avec lequel ils doivent travailler. « Déquétainiser » Superman, certes, mais il devient lassant de voir deux films mettant en vedette un super-héros déprimé, torturé et maussade comme s’il avait absorbé la personnalité de Batman ou d’un vengeur. On dirait que les scénaristes l’ont écrit sombre juste pour le bénéfice d’être sombre, sans trop se poser la question… Lois Lane pourrait presque être retirée du film sans que le reste de la trame narrative ne soit affectée. Cela en dit long sur la pertinence de ses interventions dans le film… Qui plus est, Superman est presqu’effacé et annexé dans ce film pour garder du temps et de la place à tout le reste qui l’entoure.

Je n’ai jamais eu d’objection à Gal Gadot dans le rôle de Diana Prince/Wonder Woman. Elle est très jolie et semble être en forme pour combattre auprès de ses deux acolytes pré-Justice League, comme sa préparation au rôle laissant sous-entendre. En espérant que son film solo soit satisfaisant, car ici elle est davantage remisée à la fonction de caméo intermittent dans la culmination convergente vers la Justice League.

Une de mes mentions spéciales est attribuée à Laurence Fishburne dans le rôle de Perry White, l’éditeur en chef du journal Daily Planet. Moins effacé et discret que dans Man Of Steel, il semble être un des seuls à s’amuser, ayant du texte lui permettant de sortir du moule sombre pour se permettre des émotions et lancer quelques réparties à Clark Kent. Il est drôle et sympathique. Sa présence était rafraîchissante dans l’ensemble.

Les acteurs ont tous le physique de l’emploi pour leur rôle respectif et se débrouillent malgré le matériel incongru avec lequel ils sont aux prises.

Maintenant, place au désastre…

Que t’ont-ils fait, Lex Luthor?!

Vaut mieux ne pas tenter de réparer quelque chose qui n’est pas brisé. L’essence de Lex Luthor, selon ce que j’en ai vu dans la série et les films animés, réside dans un homme dur, froid, intelligent, méthodique, calculateur, stratégique, charismatique, ambitieux, vaillant, urbaniste, obsédé par le succès. Dans Batman V Superman, Lex est gâché et complètement dénaturé. Gravement. Plusieurs appréhendaient le casting de Jesse Eisenberg (un bon acteur, hélas) comme un mauvais choix par rapport aux attentes que l’on a vis-à-vis ce personnage culte. Malheureusement, il ne déçoit pas nos appréhensions… Son Lex Luthor est un autre Mark Zuckerberg, mais sur la cocaïne. Il est caricatural, truffé de tics et de démence. Complètement dépouillé de tout le charme et l’intérêt du personnage dans les autres canons. On ne comprend même pas tout à fait ce qui justifie sa haine et sa rivalité envers Superman. Il conçoit des plans machiavéliques et diaboliques qui semblent faibles et peu impressionnants une fois dévoilés. Certains changements de nature de personnages peuvent être accueillis et se révéler pertinents. Ici, j’ai du mal à imaginer qu’on trouve ce personnage intéressant, outre l’idée d’un jeune « adulescent » qui se croit au-dessus de tout, égoïste, narcissique et irresponsable à souhait. Dans le même rôle, Gene Hackman et Kevin Spacey insufflaient une prestance au personnage, même s’ils n’étaient pas aussi captivants et raffinés que la version Clancy Brown du personnage (dans les séries et films animés). Ici, on mise sur la nervosité et la carrure frêle d’Eisenberg. C’est un choix insensé sur toute la ligne. Il offre quelques moments divertissants, lorsque l’on fait abstraction qu’il est supposé être Lex Luthor. D’ailleurs, pourquoi faire de lui un « comic relief »? C’est aussi inapproprié dans les circonstances que l’orientation qui a été prise pour Tommy Lee Jones en Harvey Dent/Two-Face dans Batman Forever, qui tâchait d’être aussi excentrique que son compère Jim Carrey. Bien entendu, je ne blâme qu’Eisenberg en faible partie, mais je me demande à quoi l’équipe de production a bien pu penser pour se dire qu’ils allaient dans la bonne direction avec cette version grotesque et ridicule de l’ennemi juré de Superman. Cette réinvention du personnage est un des aspects les plus aberrants du film. De loin.

La peinture à l’huile, c’est bien difficile, mais c’est bien plus beau, que la peinture à l’eau

Certains éléments m’ont soulagé ou ravi, mais parfois avec une pointe d’amertume. D’autres éléments m’ont simplement agacé, malgré le potentiel latent. Les voici, dans un ordre aléatoire.

Plusieurs sont d’accord pour dire que l’histoire d’origine de Bruce Wayne a été couverte et redite maintes fois, et qu’il n’était pas nécessaire d’y revenir encore dans ce film. Rien de nouveau ici, excepté quelques beaux plans de caméra et la poésie visuelle du jeune orphelin dans la cave remplie de chauves-souris (discordance de ton avec le reste du film, qui se veut ancré en une réalité digne d’une épopée urbaine de science-fiction). Heureusement, Snyder choisit de placer cette scène au tout début, en forme de prologue en parallèle avec le générique d’ouverture. La raison pour laquelle il ramène cet extrait, notamment le nom des parents, s’avère risible lors de son rappel dans le dénouement de l’affrontement entre Batman et Superman. D’ailleurs, cet affrontement est colossal et tourné de façon moins étourdissante que la confrontation Superman/Zod dans Man Of Steel. Cela dit, ce qui est à l’origine de ce combat et son dénouement tombe à l’eau et fait preuve de manque de consistance. Tout au long du film, les personnages peuvent revenir sur leurs positions comme sur des trente sous, tellement leurs motivations sont questionnables.

Une scène pourrait être intéressante : Superman se rend au Capitole de Washington pour témoigner notamment sur son implication lors de l’invasion à Metropolis, pour faire face à des questions sociopolitiques soulevées par sa terre d’adoption. Hélas, cette scène ne connaît que peu de répercussions pour faire place à l’intégration de nouveaux éléments pour la Justice League. Malheureusement, elle tombe dans les abysses des scènes à haut potentiel, mais ne créant que peu d’incidences sur le continuum scénaristique. On se questionne sur leur importance dans l’ensemble, tant les conséquences semblent bénignes ou certainement à faible impact au final. Ce qui devrait être une question approfondie sur la présence sur Terre de cette figure olympienne tombe dans le drame facile et on ne sent que le dégoût exagéré des autres, on se sent pas l’autre côté de la médaille, l’appréciation de services rendus. Il est facile de se demander pourquoi on s’acharne tant à décrire Superman comme une menace et une figure de controverse détestée, alors qu’on ne le voit que sauver des vies dans cet opus, alors qu’il avait gagné la confiance de l’armée à la fin de Man Of Steel… Encore un raccourci scénaristique pour justifier l’effet que l’équipe de production souhaitait créer.

Certaines séquences pourraient s’étirer en vain, mais le font brièvement pour faire place à une nouvelle péripétie. La quantité domine la qualité, malheureusement, tant des éléments épars sont lancés sur cette toile qu’est Batman V Superman. Le spectateur peut rapidement devenir confus dans le montage des séquences bout-à-bout, notamment pour la progression narrative. Autant qu’est-ce qui justifie un changement de scène (fin d’une scène ou introduction d’un nouvel élément) que le niveau de temporalité. Sommes-nous dans un rêve? Dans un flashback? Au présent? Sommes-nous dans une anticipation du futur? Une scène qui mélange particulièrement toutes ces questions est le rêve prophétique de Bruce Wayne dans le désert d’un futur dystopique.

Dieu merci, AUCUN triangle amoureux cliché n’est orchestré dans le film. Pas besoin d’élaborer plus sur ce point, outre signaler que ce constat se fait à ma plus grande satisfaction. Je craignais que ma prédiction se réalise en voyant les bandes-annonces, sachant qu’il y aurait Batman, Superman, Wonder Woman et Lois Lane dans le tableau. La collaboration avec Wonder Woman dans le troisième acte est visuellement trépidante. Mais narrativement, force est d’admettre que cette scène aurait dû appartenir au premier film de Justice League pour ne pas bâcler l’idée d’une adversité entre Batman et Superman. De toute évidence, il aurait fallu diviser le film présent en plusieurs films séparés, tant Snyder et son équipe ont tenté de couvrir plusieurs territoires en un seul…

La musique signée Hans Zimmer et Junkie XL n’est qu’une longue catharsis et appuie bien l’intention artistique du reste de la production : se pavaner dans un environnement soi-disant sombre, grave, important, pluvieux, nocturne, tragique et tonitruant. Chaque note est pesante et met l’accent de façon orchestrale sur la gravité du moment. On dirait que Zimmer se parodie lui-même avec ses compositions ici. Nettement moins agréable dans l’écoute d’ensemble que ce qu’il avait amené en termes de sonorités et mélodies, intéressantes autant pour la trilogie Dark Knight de Christopher Nolan que pour Man Of Steel.

L’épilogue traîne en longueur et se complaît dans une envolée lyrique empreinte de doléance et de pathétisme. Difficile de ne pas divulgâcher avec une phrase comme telle, mais disons que nous assistons à l’élaboration d’une avenue pavée sur un choix dangereusement impertinent du réalisateur. Impossible d’adhérer à la tragédie qui est mise en œuvre, étant donné le caractère prévisible du faux revirement qui est établi. Le film joue du violon larmoyant, et pourtant on ne peut ressentir aucune empathie, sachant la suite des films de Justice League à venir…

De manière générale, le spectateur peut souvent se poser la question « Pourquoi? » ou « Comment? », en devant se contenter de réponses faciles comme justification. Ce genre de question est inconcevable dans un film construit de façon intelligible et intelligente, plutôt qu’un produit dilué dans le chargement d’éléments narratifs et la primauté du style visuel. Je n’ai rien contre l’établissement d’une ambiance, mais lorsque le scénario en souffre trop, certaines questions devraient se poser avant de crier « Action! »… Cela dit, je ne suis pas porté d’emblée à crucifier le film comme le reste de la presse l’a fait. J’y ai trouvé partiellement mon compte, notamment dans le design des costumes et décors, les chorégraphies et le jeu d’acteurs (à une exception près…). Cependant, il faut admettre qu’il est truffé de failles qui font ombre au potentiel et aux séquences qui plaisent.

Positivement, les séquences mettant en vedette Batman en action sont intenses à souhait et enlevantes. De loin les moments les plus forts et solides du film. Les chorégraphies et le style de combat orchestrés sont brutaux, puissants et énergiques. Un Batman menaçant et colossal, à la hauteur des attentes des fans. Même si Warner Bros a fait pression pour atténuer la violence du film et favoriser une cote de classification qui permettrait à un public plus jeune de se rendre en salles, il est clair que ce film sombre est adressé à un public adulte. Plusieurs ont été choqués de voir que ce Batman tue sans vergogne. Cet aspect ne m’a pas dérangé, étant donné que c’était plutôt d’ordre collatéral (voitures qui explosent, grenades retournées à l’envoyeur, bris de nuque sur caisses de bois). Le Batman de Michael Keaton tuait aussi, le cas échéant. Dans le cadre d’autres interprétations, il est certain que le code moral de Batman, sa règle ultime de préserver la vie pour ne pas devenir à son tour un criminel et un psychopathe crée une dynamique intéressante qui vaut la peine d’être exploitée. Rappelons que le Batman dans le cas présent est basé sur le modèle de The Dark Knight Returns, de Frank Miller. Un Batman plus vieux, aigri, cynique, qui en a vu des vertes et des pas mûres, qui en prend et en laisse dorénavant. Bref, les séquences mettant en vedette Batman valent à elles seules le déplacement en salles pour Batman V Superman.

Conclusion

Batman V Superman est à Warner Bros/DC Comics ce que Quantum Of Solace était à la franchise James Bond : une foule de promesses n’arrivant pas à satisfaire les attentes, dans une toile mal tissée qui tombe à plat, notamment à cause d’un scénario bâclé. Cela dit, il me semble être sorti du cinéma somme toute moins frustré et plus diverti que lors de Man Of Steel, malgré les failles et longueurs. Pourtant ayant revisité le premier verset récemment, il m’a paru moins lourd que lors de la première lecture, moins abrutissant et surtout moins préoccupé par l’établissement forcé d’un univers étendu pour rattraper le retard envers Marvel. J’oserais dire que revoir Man Of Steel après Batman V Superman rend le premier plus cohérent et pertinent dans le continuum des deux films. Avais-je rabaissé ma barre d’attentes? Étais-je dans les bonnes conditions pour ce genre de cinéma? Bref, un autre signe que je fais la girouette par rapport à la filmographie de Zack Snyder.

Le potentiel y est flagrant, avec nombreuses séquences dynamiques, un dilemme moral et éthique par rapport à la xénophobie envers Superman qui mériterait d’être exploré convenablement, un style visuel satisfaisant, notamment du côté des costumes et décors. Plusieurs brefs moments intéressants, sur le plan des enjeux narratifs et des chorégraphies d’action, mais rien pour les rattacher et les enchaîner de façon serrée et solide. Tout est diffus et éparpillé dans ce type d’expérience, pourtant manifestement marqué par un travail esthétisé et passionné. Les émotions contradictoires suscitées montrent qu’il est difficile de rester indifférent devant un tel spectacle, mais facile de rester perplexe et mitigé devant l’exécution d’ensemble questionnable. Amalgame de bonnes idées dans une suite précipitée, quelque peu superficielle et partiellement maladroite. Il se peut que j’apprécie moins Batman V Superman plus tard, comme il se peut que je le redécouvre de façon positive en lui donnant une autre chance. Je suis constamment dans cet état entre deux chaises avec Zack Snyder.

Pourtant, malgré la balance entre mes déceptions et mes moments forts, la même curiosité morbide m’anime à l’annonce de la sortie éventuelle de la version prolongée et remixée par le réalisateur, à paraître éventuellement en Blu-ray. Ne serait-ce que pour constater si le déroulement sera meilleur et si les coupures en salles pour convenir à un jeune public méritent de faire partie de l’intégrale de Batman V Superman. Souhaitons que cette nouvelle version améliore le produit actuellement en salles. Soyons réalistes, il vaut mieux être prêt à toutes éventualités. Pour le meilleur et pour le pire.

Note d’appréciation : 5,5 héros pluvieux déprimés sur 10

Pour en savoir plus :

Le portail Batman-News, contenant une foule d’articles et d’entrevues catégorisées sur le présent film étudié (anglais) : http://batman-news.com/category/movies/batman-v-superman-dawn-of-justice/

Zack Snyder, Henry Cavill, et d’autres acteurs répondent aux critiques dévastatrices du film (anglais) : http://batman-news.com/2016/03/24/batman-v-superman-bad-review-reactions/

Le meme « Sad Affleck », ciblant la portion d’entrevue où l’acteur a du mal à cacher sa déception que le film soit si mal reçu par la critique : https://www.youtube.com/watch?v=cwXfv25xJUw